Par une ordonnance retentiscente du 30 novembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nice saisi par les Associations ANAFE et Médecins du monde et 10 autres associations de défense des étrangers et des droits fondamentaux, intervenantes volontaires, a suspendu la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 18 septembre 2020, refusant à leurs membres l’accès aux constructions modulaires attenantes au poste de la police aux frontières de Menton.

Le juge rappelle que "quotidiennement, de nombreuses personnes sont retenues dans ces locaux munis de système de fermeture et de surveillance vidéo, dans des conditions précaires, pour de nombreuses heures, notamment la nuit lorsque le poste de police italien est fermé, qu’elles sont mises dans l’impossibilité de partir librement de ces locaux et d’obtenir au cours de la période de « maintien » une assistance médicale, juridique ou administrative des associations.", constatant que le préfet, qui n’était pas présent à l’audience, ne contredit pas ces éléments dans sa défense.

En effet, depuis fin de l'année 2016, sur la frontière intérieure séparant l’Italie de la France, ont été mis en place, par les services de la police aux frontières à Menton, des locaux aménagés attenants au poste de police destinés à accueillir les étrangers susceptibles de faire l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire et d’une remise aux autorités italiennes, pour le temps présenté comme nécessaire à l’examen de leur situation. Les associations requérantes demandent un accès à ces locaux.

 

2017 : En une phrase... Tout va très bien Madame la Marquise !

Par une décision du 5 juillet 2017, le juge des référés du Conseil d'Etat avait confirmé une ordonnance du juge des référés du même tribunal ayant validé la présence de telles constructions impliquant nécessairement une privation de liberté (CE, 5 juillet 2017, n° 411575). Appliquant le cadre juridique appliqué à une frontière extérieure de l'Union européenne, le juge des référés du Conseil d'Etat avait considéré que "aux termes de l'article 28 du règlement du 15 mars 2006, repris à l'article 32 du règlement du 9 mars 2016 : "Lorsque le contrôle aux frontières est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II (relatif aux frontières extérieurs de l'Union) s'appliquent mutatis mutandis " (considérant 3).

Le juge de la Haute juridiction administrative avait alors considéré que "s'il appartient aux autorités compétentes de prendre toutes les mesures utiles pour que ce délai soit le plus réduit possible, il convient également de tenir compte, à cet égard, des difficultés que peut engendrer l'afflux soudain d'un nombre inhabituel de personnes en un même lieu et des contraintes qui s'attachent à l'éventuelle remise des intéressés aux autorités de l'Etat frontalier ;" (considérant 6).

Le juge justifiait sa décision par le fait que "dans le cadre de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'Union, il appartient aux autorités compétentes de s'assurer que les ressortissants de pays tiers se présentant à la frontière remplissent les conditions requises pour être admis à entrer sur le territoire, et, à défaut, de leur notifier une décision de refus d'entrée, selon les modalités prévues par l'article L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ; que la situation des étrangers concernés n'entre pas, en tant que telle, dans les prévisions des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers relatives aux zones d'attente, qui s'appliquent aux personnes qui arrivent en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et peuvent être maintenues dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international, dans un port ou dans un aéroport, pour une période allant jusqu'à quatre jours ; que les vérifications à effectuer et le respect des règles de forme et de procédure édictées dans l'intérêt même des personnes intéressées impliquent que celles-ci, qui, dès lors qu'elles ont été contrôlées à l'un des points de passage de la frontière, ne peuvent être regardées comme étant entrées sur le territoire français, puissent être retenues le temps strictement nécessaire à ces opérations ;"

Le juge avait même considéré que qu'il n'y avait "pas lieu de juger que le délai maximal devrait être fixé en-deçà du plafond de quatre heures retenu par l'ordonnance attaquée ;"  estimant que "l'existence même d'un tel dispositif, dans son principe, n'est pas manifestement illégale" !

La décision de la Haute juridiction était surprenante ce d'autant que le juge précisait que "les autorités françaises se sont entendues avec les autorités italiennes pour que des réacheminements puissent être organisés plus fréquemment, y compris de nuit, afin de respecter le délai de quatre heures fixé par le premier juge, même si ce délai, selon toute vraisemblance, a pu, au moins ponctuellement, ne pas être respecté, notamment la nuit du 26 au 27 juin après l'interception d'un groupe de 165 étrangers, à proximité de Castellar ;" (considérant 9). Alors qu'il sera vérifié plus tard qu'il ne s'agissait que d'affirmation péremptoires du ministre !

Le juge invitait même les associations à introduire des requêtes individuelles contre les "autres manquements invoqués, s'ils venaient à se reproduire (...) si elles s'y croyaient fondées" rappelant néanmoins que "l'augmentation du nombre d'étrangers se présentant à la frontière franco-italienne ne saurait justifier le non-respect des garanties prévues, notamment, par l'article L.213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;"

Le juge concluait que "les conditions dans lesquelles sont retenus provisoirement dans les locaux de la police aux frontières de Menton des ressortissants de pays tiers à l'Union européenne en provenance d'Italie n'appellent pas d'intervention du juge des référés libertés" (considérant 11). 

Circulez ! il n'y a rien à voir donc !

 

2020 : Merci l'Europe !

Il a fallu attendre une décision de la CJUE saisie en question préjudicielle par la Cour de Cassation pour voir consacré au niveau européenle fait qu'une frontière intérieure d’un État membre sur laquelle des contrôles ont été rétablis ne peut être assimilée à une frontière extérieure au sens de la directive 2008/115 dite "retour"

Dans une décision du 12 juillet 2017, la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 12 juill. 2017, n° 16-22.548, P+B+I) a demandé à la CJUE s’il était possible, en cas de réintroduction du contrôle à ses frontières intérieures par un État (paralysant ainsi partiellement l'application de la directive "retour" de contrôler une personne entrée irrégulièrement en France selon les dispositions de l'article 78-2, alinéa 4 du Code de procédure pénale et de la placer en garde à vue. 

Dans son arrêt du 19 mars 2019,la CJUE (C-444/17, Préfet des Pyrénées-Orientales/Abdelaziz Arib) considère qu'il découle du code frontières Schengen qu’une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits par un État membre n’équivaut pas à une frontière extérieure, au sens du même code dès lors qu'aux termes du code frontières Schengen, les notions de "frontières intérieures" et de "frontières extérieures" sont exclusives l’une de l’autre. Pour la Cour, le texte même du code frontières Schengen s’oppose à ce qu’une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits soit assimilée à une frontière extérieure.

A la suite de cette décision, il a fallu attendre un arrêt du Conseil d'Etat du 27 novembre 2020 (n°428178), la Haute juridiction administrative a fait sien le raisonnement de la CJUE, en affirmant que :

"Le a) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier permet aux Etats membres de ne pas appliquer les dispositions de cette directive aux ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une décision de refus d'entrée conformément à l'article 13 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), ou arrêtés ou interceptés à l'occasion du franchissement irrégulier de la frontière extérieure d'un Etat membre.

"Telles qu'interprétées par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 mars 2019, Arib e.a. (C-444/17), ces dispositions ne sont pas applicables aux franchissements des frontières intérieures d'un Etat membre lorsque celui-ci a réintroduit le contrôle à ces frontières en vertu de l'article 25 du code frontières Schengen.

"Il suit de là que les associations requérantes sont fondées à soutenir que en ce qu'il permet d'opposer un refus d'entrée à un étranger qui a pénétré sur le territoire métropolitain en franchissant une frontière intérieure terrestre alors que lui sont applicables les dispositions, relatives au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier prises pour la transposition de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, les dispositions de l'article L. 213-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont incompatibles avec les objectifs de celle-ci et à demander l'annulation de l'article 2 du décret attaqué, pris pour l'application de ces dispositions législatives." (considérant 4)

Ce faisant, la Haute juridiction a annulé pour excès de pouvoir l'article 2 du décret n°2018-1159 qui a introduit un article R. 213-1-1 dans le Code des étrangers (CESEDA).

Quelques jours plus tard, le juge des référés du tribunal administratif de Nice, lui a emboité le pas en considérant le 30 novembre 2020 que :

"Le préfet des Alpes-Maritimes ne conteste cependant pas les allégations des requérantes qui soutiennent que, quotidiennement, de nombreuses personnes sont retenues dans ces locaux munis de système de fermeture et de surveillance vidéo, dans des conditions précaires, pour de nombreuses heures, notamment la nuit lorsque le poste de police italien est fermé, qu’elles sont mises dans l’impossibilité de partir librement de ces locaux et d’obtenir au cours de la période de « maintien » une assistance médicale, juridique ou administrative d’associations. Les associations requérantes en faisant état de ces éléments, d’une atteinte à leurs intérêts qui relèvent d’intérêts publics, à leur liberté de venir en aide dans un but humanitaire aux personnes retenues, justifient, à la date de la présente ordonnance, d’une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts et de circonstances particulières, caractérisant la nécessité pour elles d’obtenir à bref délai, sans attendre le jugement de la requête au fond, la suspension de la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 18 septembre 2020 refusant à ses représentantes un accès pour intervention auprès des personnes retenues dans les locaux attenants à la police des frontières." (considérant 7)

Après avoir constaté l'urgence à statuer en référé, le juge considère que : 

"le préfet des Alpes-Maritimes ne conteste pas les allégations des associations requérantes sur la durée de « maintien » des personnes « retenues » dans les locaux dits de « mise à l’abri »,  sans que cette durée soit justifiée par l’examen de leurs dossiers notamment l’étude de demandes d’asile, le caractère coercitif de ce « maintien » et le caractère quotidien de ces pratiques de « mise à l’abri » notamment entre 19h00 et 8h00 du matin sans possibilité que soit accordé, un accès régulier ou même ponctuel à ces locaux, au vu de certaines circonstances notamment sanitaires, des associations requérantes pour porter assistance aux personnes retenues." (Considérant 8)

et que : 

"Il résulte de l’instruction et des échanges intervenus au cours de l’audience que le moyen tiré de l’application des dispositions prises pour la transposition de la directive n°2008/115 CE du 16 décembre 2008 aux mesures de « maintien » des personnes retenues dans ces locaux dits de « mise à l’abri » de Menton et notamment aux conditions d’accès des associations à ces locaux, est en l’état de l’instruction susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée." (considérant 9)

Tout vient à point à qui sait attendre... le juge a suspendu l’exécution de la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 18 septembre 2020 refusant d’accorder un droit d’accès aux représentantes des associations Médecin du Monde et de l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers et lui a enjoint de réexaminer la demande d’accès de l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers et de l’association Médecins du Monde et ce dans un délai de trente jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Il s'agit d'une victoire de l'ANAFE et des associations de défense des droits des étrangers et des droits fondamentaux qui constatent au quotidien et dénoncent depuis plusieurs années les violation des droits des personnes vulnérables. 

Il est à espérer que la pratique de l'Etat constaté par les associations s'estompent et que comme l'a rappelé le Conseil d'Etat ""l'augmentation du nombre d'étrangers se présentant à la frontière franco-italienne ne saurait justifier le non-respect des garanties dont ils disposent" selon le droit national et européen.

Il faut croire que les sentinelles des libertés que sont aussi les associations et leurs avocats, mais égalemenbt les juges, y veillent !