Dans une ordonnance du 22 mars 2020, le Conseil d’Etat ( numéro 439674) vient d’enjoindre le ministre de la santé de :

  • préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
  • réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
  • évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation.

La Haute juridiction administrative rappelle à cette occasion que :

  • Le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale.
  • Le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée, comme celle de covid-19 que connaît actuellement la France.
  • Aux termes de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population./Le ministre peut habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d'application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. (…). »
  • Le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le code général des collectivités territoriales, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local.
  • Il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.
  • Lorsque l’action ou la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par cet article, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette action ou de cette carence.
  • En l’occurrence, le juge des référés du Conseil d’Etat considère que le Premier ministre n’a ps fait preuve d’une carence grave et manifestement illégale en ne décidant pas un confinement total de la population sur l’ensemble du territoire selon les modalités demandées par le syndicat requérant.
  • Les mesures en vigueurs peuvent cependant caractériser une carence de l’administration si leurs dispositions sont inexactement interprétées et leur non-respect inégalement ou insuffisamment sanctionné.
  • La juridiction considère ainsi que les mesures gouvernementales ne sont pas claires : ainsi, l’autorisation, sans autre précision quant à leur degré d’urgence, des « déplacements pour motif de santé » ou des « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie » apparait trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le « jogging ». Il en va de même du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale.
  • Les pouvoirs publics doivent également mettre en place les mesures d’organisation et de déploiement des forces de sécurité de nature à permettre de sanctionner sur l’ensemble du territoire les contrevenants aux arrêtés ministériels et au décret du 16 mars 2020.
  • Le Conseil d’Etat impose aussi une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues qui doit être régulièrement réitérée par l’ensemble des moyens à la disposition des autorités nationales et locales.

Certes le Conseil d'Etat rejette la demande de confinement totale, mais sa décision pose clairement la question de la légalité des PV délivrés à ce jour pour violation du confinement qui peuvent donc être contestés du fait de l’imprécision relevée par la juridiction.

Décision : Conseil d'État, 22 mars 2020, Demande de confinement total