La Cour de cassation vient de répondre par l’affirmative dans un arrêt du 11 mai 2023. 

Pour comprendre son raisonnement et les termes du débat, commençons par rappeler le cadre juridique.

  • La restriction administrative du droit de conduire

En règle générale, lorsqu’un conducteur fait l’objet d’un contrôle routier et qu’un test d’alcoolémie au volant se révèle positif, son permis de conduire fera d’abord l’objet d’une rétention administrative immédiate, notifiée par les services de police. Il en va de même pour la consommation de stupéfiants, la conduite en état d’ivresse manifeste ou le refus de se soumettre aux tests de dépistage notamment.

La rétention interdit au conducteur de prendre la route, sous peine de se rendre coupable d’une autre infraction et de se voir retirer six points de permis de conduire, voire confisquer le véhicule.

Durant la rétention, d’une durée maximum de 120 heures en cas d’alcoolémie, le préfet doit décider du sort du conducteur : 

  • soit qu’il lui restitue son permis de conduire (généralement parce que l’infraction n’est pas constituée) dans les 12h suivant la fin de rétention ;
  • soit qu’il lui notifie une décision de suspension administrative qui interdit de conduire un véhicule terrestre à moteur (les catégories de permis sont visées dans la décision) ;
  • soit qu’il lui interdise de conduire un véhicule non équipé d’un système d’éthylotest par anti-démarrage (qu’on appelle couramment EAD). Cette solution vise à trouver un compromis entre la protection des usagers de la route et la nécessité parfois impérieuse de conduire.

Ne rien recevoir à l’issue des 120 heures ne signifie pas que le permis est « sauvé ». Même quand le conducteur a récupéré son permis de conduire retenu, la décision préfectorale peut intervenir dans les semaines qui suivent sans que ce soit illégal.

La suspension ou l’EAD interviennent à titre conservatoire et prennent fin le jour où le conducteur est soit jugé coupable, soit relaxé par le Tribunal correctionnel (ou, très rarement, parce qu’il n’est finalement pas poursuivi pénalement).

  • La restriction judiciaire du permis de conduire

La décision du préfet ne présage pas de ce que décidera le juge pénal : il peut arriver d’être relaxé après une suspension, comme il est possible d’être condamné sans jamais avoir été suspendu.

Rappelons que les peines relatives au permis de conduire ne sont qu’accessoires à la condamnation principale pour alcoolémie (amende, emprisonnement, travail d’intérêt général…)

Au vu des délais souvent longs pour être convoqué en justice, il peut arriver que le conducteur ait déjà terminé sa suspension administrative au jour où il est condamné à une suspension judiciaire.

Cette lenteur procédurale conduirait à une forme d’injustice s’il n’était pas tenu compte de la période déjà effectuée. C’est pourquoi le code de la route permet au juge de rendre exécutoire rétroactivement la décision judiciaire qui viendra restreindre le droit de conduire après suspension conservatoire.

Ainsi, un conducteur qui a été suspendu 4 mois par le préfet puis condamné à 3 mois de suspension judiciaire, récupère le droit de conduire du fait du caractère exécutoire : il a d’ores et déjà exécuté sa peine.

  • Qu’en est-il en cas de conduite avec EAD ?

Dans l’affaire soumise aux juges de cassation, la conductrice avait été condamnée à 300 euros d’amende et 4 mois de suspension de permis de conduire par ordonnance pénale (c’est-à-dire sans audience préalable). Elle avait saisi le tribunal correctionnel d’un incident d’exécution, en demandant que la période où sa conduite avait été restreinte par le préfet aux véhicules équipés d’EAD soit déduite de la durée de la condamnation judiciaire.

Tant le tribunal que la Cour d’appel ont rejeté cette demande.

La Haute juridiction vient valider cette solution, en considérant que le législateur a conçu deux mesures qui ne sont pas du même ordre : conduire uniquement avec un dispositif EAD est une autorisation de conduire conditionnée, alors que la suspension judiciaire est une interdiction de conduire sans exception.

Elle en veut pour preuve que ne pas respecter la décision préfectorale de conduire avec EAD est une simple contravention alors que conduire malgré suspension administrative ou judiciaire constitue un délit.

Bien conseillé et défendu par son avocat, le conducteur poursuivi aura de plus grandes chances de préserver le droit de conduire quand il sera condamné, voire d’éviter d’être condamné.