Les petites entreprises sont particulièrement affectées par la crise sanitaire que traverse le pays et qui a conduit à l’arrêt quasi-général de leur activité. Or les mesures prévues pour les aider à supporter les conséquences de cette crise ne sont pas à la hauteur des enjeux et relèvent davantage du parcours du combattant que d’une promenade de détente, au regard des critères d’éligibilité restrictives choisis.

Il est pour le moins regrettable que les autorités françaises ne se soient pas inspirées du pragmatisme Allemand qui, parmi les mesures pour contrer l’impact économique de l’épidémie de covid-19, a interdit aux bailleurs d’expulser leurs locataires en cas de défaut de paiement des loyers des mois d’avril, mai et juin 2020, les locataires disposant par ailleurs, par la loi, d’un long délai (jusqu’au 30 juin 2022) pour remboursent. Les mesures allemandes étant applicables « sans critères spécifiques » !

Une telle solution de simplicité n'a pas été choisie par le gouvernement français.

Ainsi, la loi n° 2020-290 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 publiée le 23 mars 2020 (la « Loi d’Urgence ») déclaré l’ « état d’urgence sanitaire » sur l’ensemble du territoire national pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. L’article 11 de la Loi habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances toutes mesures permettant notamment « de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ».

Une ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 (l’« Ordonnance »), a précisé le champ d’application des mesures applicables aux loyers commerciaux.

L’article 4 de ladite ordonnance précise que certains professionnels ne « peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce ».

Les dispositions concernent les loyers et charges afférents à des « locaux professionnels ou commerciaux ». Les mesures prévues « s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ».

Beaucoup d’entreprises ont ainsi cru qu’il s’agissait d’une bouffée d’air salutaire. Mais ce cadeau semble empoisonné du fait d’une procédure complexe.

L’ordonnance réserve le bénéficie de ses dispositions aux « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée » et à « celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

Trois décrets récents viennent successivement les 30 et 31 mars 2020 et le 2 avril restreindre encore les conditions pour en bénéficier.

Le décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 reprenant mot pour mot l’intitulé de l’Ordonnance précise désormais que : « Peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 de l’ordonnance n° 2020-316 susvisée les personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, remplissant les conditions et critères définis aux 1° et 3° à 8° de l’article 1er et aux 1° et 2° de l’article 2 du décret n° 2020-371 [Aides du Fonds de solidarité]. »

Or le décret n° 2020-371 concerne le Fonds de solidarité et reste un texte complexe dans sa rédaction au regard des conditions d’éligibilité au dispositif d’aide.

Ainsi, pour ne pas être soumis à l’épée de Damoclès que constituent les sanctions pour non-paiement des loyers et pour bénéficier du report de paiement des factures d’énergie, il est nécessaire de remplir cumulativement les conditions suivantes :

•      être une entreprise appartenant à une « liste de celles qui sont éligibles au fonds de solidarité » y compris en cessation de paiements déclarée ou en difficulté « au sens de l’article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité » ;

•      et remplir les deux conditions visées à l’article 2 du décret n° 2020-371 : être sous le coup d’une interdiction d’ouverture au public et justifier d’une perte de 70 % au moins du chiffre d’affaires au mois de mars 2020 ; réduit désormais à 50 % par le décret n° 2020-394 du 2 avril 2020.

Ces critères restrictifs ne rassurent en rien les près de 3 millions d’entreprises françaises qui restent suspendues à la décision du bailleur qui peut à tout moment réclamer le paiement des loyers dans la majorité des cas.

Heureusement, des outils juridiques classiques du droit des contrats  permettent aux parties de faire valoir le droit à un report des loyers : notamment la « force majeure », prévue par l’article 1218 du code civil, ou encore l’ « exception d’inexécution » régie par l’article 1220 dudit code, sur le fondement de l’ « obligation de délivrance » prévue par l’article 1719 du même code notamment lorsque le commerce objet du bail a fait l’objet d’une interdiction d’ouverture (dont la liste est prévue par les Arrêtés du 14 mars 2020 et 15 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19).

C’est pourquoi, on ne saurait trop conseiller aux petites entreprises, de prévenir dès maintenant leurs bailleurs de leur difficulté et de trouver un arrangement amiable avant que les difficultés d’interprétation des mesures existantes ne puissent mettre en péril définitivement la santé de l’entreprise qui pourrait prendre ses pieds dans une procédure contentieuse nécessairement coûteuse.

 

Une version allégée de cet article est en ligne sur site internet des Petites Affiches des Alpes-Maritimes : https://www.petitesaffiches.fr/actualites,069/droit,044/suspension-du-paiement-des-loyers,17357.html