Un établissement de crédit prête à la société exploitant d’un débit de boissons, par acte sous seing privé ou, parfois même, par acte authentique, une somme, ledit acte comportant également mention d’un cautionnement du prêt par un Brasseur.

Pour le débitant de boisson, il s’agit d’obtenir les crédits nécessaires pour débuter son activité, ou pour la pérenniser.

Pour le brasseur, la contrepartie de son engagement, sera le bénéfice de pouvoir approvisionner, souvent de façon exclusive, le débitant de boissons, et de distribuer ainsi plus largement ses boissons.

Quant à l’organisme de crédit, son opération sera, comme toute opération de crédit, rémunérée, grâce notamment aux intérêts perçus, avec la quasi-certitude, en cas d’impayés du débiteur principal, d’obtenir de la part du brasseur généralement notoirement solvable, un règlement rapide et sans encombres, puisque le brasseur caution, en sa qualité de personne morale professionnelle, ne bénéficie pas des moyens de défense étendus dont dispose la personne physique s’étant porté caution, et ne pourra à ce titre que difficilement contester son engagement, ce qui l’amènera généralement à régler à première demande la banque.

La plupart du temps, à l’intérieure de cette élaboration juridique, ou parallèlement à celle-ci, la Brasserie va elle-même solliciter le cautionnement du débitant de boisson, personne physique, lui permettant, dans l’hypothèse où elle serait actionnée en paiement, de récupérer les sommes auprès, non pas de la société débitant de boisson qui la plupart du temps aura fait l’objet entre temps d’une procédure collective et ne sera plus solvable, mais du gérant de l’établissement.

1. La qualification incertaine du « sous cautionnement ».

L’opération, ainsi envisagée, appelle d’ores et déjà deux observations :
D’une part, le principe selon lequel le cautionnement constitue, pour la jurisprudence, par principe un "acte gratuit et désintéressé" est ici largement théorique, puisque, non seulement il y a un intérêt patrimonial pour le brasseur à cautionner une telle opération puisque du succès de l’entreprise du débitant de boisson dépendra la quantité de boissons qu’il fournira, mais encore le brasseur va, à moindre frais, obtenir la sécurisation financière de l’opération, et réduire ainsi encore un peu plus l’aléa de l’opération, en sollicitant du gérant de l’établissement un engagement de caution personnel, qu’il actionnera dans l’hypothèse où il serait amené à payer.

D’autre part, l’opération sort du schéma tripartite classique que l’on connaît en matière de cautionnement, dans lequel, après paiement, la relation entre le créancier principal et la caution cède le pas à la relation entre la caution et le débiteur principal, avec alors cette possibilité pour la caution d’exercer ses recours, subrogatoires ou personnels, contre le débiteur principal pour obtenir le remboursement de ce qu’il a avancé.

Dans notre hypothèse, la caution, connaissant pertinemment les obstacles auxquels elle se heurtera immanquablement si une procédure collective est ouverte à l’encontre de la société débitant de boisson, préfèrera solliciter elle-même, à travers la garantie souple et peu onéreuse qu’est le cautionnement, l’engagement d’un tiers sur son patrimoine.

Cette figure juridique, quelque peu singulière, est, sans doute improprement, qualifiée habituellement de « sous-cautionnement ».

Relevons que le terme, bien qu’imparfait, a tout de même le mérite de faciliter la compréhension de ce qu’il recouvre : le sous cautionnement est l’acte de caution par lequel la caution va elle-même être cautionnée par un tiers.
Cependant, l’évidence de la formule, qui satisfera le quidam, ne manquera pas de laisser « l’homo juridicus » quelque peu perplexe.

Le terme employé pourrait en effet laisser à penser que cet acte de sous cautionnement serait une forme particulière de cautionnement, détenant un régime juridique ad hoc, qui se distinguerait de celui du cautionnement.
Est-ce à dire alors qu’il s’agirait d’une sous-catégorie de cautionnement, en ce qu’un tel cautionnement ne protégerait pas, ou de façon imparfaite, les cautions ?

2. Le régime juridique émergent du « sous cautionnement ».

L’interrogation, bien que volontairement provocatrice, est légitime, et on a pu s’interroger sur la question.

En particulier, certaines Cours ont pu estimer dans un premier temps que le créancier, en ce qu’il était avant tout une caution, ne pouvait se voir opposer par la sous caution, les moyens de défense traditionnels et particulièrement énergiques que peuvent invoquer les cautions personnes physiques, résultant de la loi Dutreuil de 2003, dont le formalisme du cautionnement à peine de nullité, et sa sœur jumelle, la décharge en présence d’un cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus de la cautions , sont l’expression la plus aboutie de la volonté du législateur de protéger les cautions personnes physiques.

En considération du positionnement ambiguë de cette caution devenue créancier, ces Cours ont alors pu exclure ces sous cautions du bénéfice des articles du Code de la consommation applicables aux cautions personnes physiques, considérant alternativement que la caution n’est pas un créancier professionnel car n’accordant pas de crédit , ou que la caution n’était pas, au moment du sous-cautionnement, réellement créancier, cette qualité ne pouvant lui être octroyée qu’à partir du paiement fait au créancier principal .
Cette jurisprudence a pu surprendre.

En effet, les arguments ne sont guère convaincants, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, à bien lire les textes, rien n’interdit à la sous caution de se prévaloir des textes du Code de la consommation, comme toute autre caution…
Il n’appartient pas au juge, en la matière de distinguer là où la loi ne distingue pas.

En second lieu, l’argument selon lequel la caution ne serait pas un créancier professionnel, en raison du fait qu’il ne délivre pas de crédit, se heurte à une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, pour qui : « au sens des art. L. 341-2 et L. 341-3, le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale. »
Et ce, même si l’activité d’où provient la créance n’est pas l’activité principale du créancier .

En troisième et dernier lieu, le motif selon lequel la caution n’était pas, au moment du sous-cautionnement, réellement créancier, cette qualité ne pouvant lui être octroyée qu’à partir du paiement fait au créancier principal, manque de force.

En effet, dès lors que toute obligation valable peut être cautionnée, qu’elle soit préexistante ou future , qu’elle soit déterminée ou indéterminée , pourvu que, dans ce dernier cas, elle soit déterminable, il importe peu que la créance existe pour que le bénéficiaire d’un acte de cautionnement soit qualifiable de créancier.
Cette position a été critiquée par la doctrine.

C’est ainsi que, récemment, un reflux s’est amorcé en jurisprudence.

D’autres Cours d’appel ont ainsi, en rupture avec la position des précédentes, pu considérer pour leur part, que la sous-caution n’a pas à être exclue du bénéfice de l’article L.341-4 du Code de la Consommation.

Empruntant le même mouvement, la Cour d’appel d’Amiens a récemment, résumé de manière claire et explicite la position adopté par ces Cours d’appel .
« La société intimée n’est certes pas un établissement bancaire dispensateur de crédit mais cette société indique dans ses écritures qu’elle se porte couramment caution auprès des établissements bancaires dans le cadre de son activité principale de brasserie.

L’engagement de la société XXXXXXXXX est ainsi intervenu dans le cadre de son activité professionnelle de brasseur et de fournisseur du fonds de commerce de débit de boissons exploité. Ainsi à l’égard de ses cocontractants cette société a bien la qualité de créancier professionnel, de sorte que les moyens tirés du formalisme et des obligations de fond imposés par le code de la consommation lui sont opposables. »

Aux termes de l’article L341-4 du code de la consommation « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

Ce texte édicte l’impossibilité pour le préteur de se prévaloir du cautionnement dans l’hypothèse où la disproportion est retenue. Les dispositions de ce texte sont applicables au dirigeant caution.

L’article L 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er aout 2003, a en effet étendu à toutes les cautions personnes physiques le principe de proportionnalité sans reprendre la distinction jurisprudentielle entre cautions profanes et cautions averties.

Cet alignement du régime de la sous-caution sur le régime de la caution, est, en dehors du retour à l’orthodoxie juridique qu’il signe, salutaire, du point de vue de la cohérence.

Rien ne justifie en effet que la sous-caution puisse être moins bien traitée qu’une caution classique, par le choix de cette figure juridique singulière.

Il reste que ces divergences entre Cours d’appel ne sont pas satisfaisantes du point de vue de la sécurité juridique, car comment expliquer qu’une sous-caution soit mieux ou moins bien traitée, selon le ressort géographique qui est le sien ?

Autant dire que la position la Cour de cassation sur la question est largement souhaitée et attendue !