Le 30 janvier 2020, l’organisation mondiale de la santé déclarée que le COVID-19 constituait une urgence de santé publique internationale.

Le 29 février, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire tentait, pour rassurer les acteurs économiques, que le coronavirus était un cas de force majeur pour les entreprises, en particulier dans les marchés publics de l’Etat, pour préciser que les pénalités de retard d’exécution des prestations contractuelles ne seraient pas appliquées.

Les textes réglementaires s’enchaînaient pour limiter les rassemblements de plus de 1.000, puis de plus de 100 personnes.

Le 12 mars, le Président de la République s’exprimait une première fois pour demander aux français de limiter leurs déplacements et d’éviter les rassemblements.

Le lendemain, la fermeture des commerces non essentiels était décidée par l’exécutif.

Le 16 mars suivant, le Président de la République annonçait des mesures de confinement à effet quasi immédiate puisque dès le lendemain midi, elle devaient être respectées.

Dans ce contexte particulièrement précipité, les acteurs économiques ont dû parer au plus pressé pour organiser le télétravail, mettre éventuellement en chômage partiel leurs salariés, ou encore se renseigner sur les mécanismes de suspension des charges mis en place pour ne pas écraser les entreprises dans cette situation de fragilisation de leur activité.

Toutefois, en dehors des réglementations spécifiques (droit du travail, droit des entreprises en difficultés), qu’en est-il des contrats signés par l’entreprise, et de ses relations avec ses partenaires commerciaux ?

A ce stade, sans doute est-il trop tôt pour mesures les conséquences sur les relations fournisseurs et clients, mais nul doute qu’il s’agira d’un des effets secondaires de la crise du coronavirus.

En effet, dans le maillage économique qui lie les différents acteurs entre eux, la défaillance de l’un a nécessairement des répercussions sur les autres.

Le premier réflexe, pour l’entreprise contractante, sera d’examiner de près ses contrats, pour déterminer si une ou plusieurs clauses de celui-ci pourraient être applicables en pareille situation.

Il peut s’en suivre une première conclusion pour l’entreprise : si le contrat a été mal rédigé ou est inadapté, une révision de ses modèles de contrats pourrait être, à l’avenir, une solution pouvant permettre de moins s’exposer aux aléas, et aux décisions prises par ses cocontractants.

Mais l’urgence est certainement ailleurs, et dans un premier temps, il faudra, pour elle, intervenir sur les contrats en cours.

Au-delà de ces stipulations, propres à chaque contrat, retour sur quelques mécanismes du droit commun des contrats pouvant être actionnés par l’entreprise dans le cadre de ses contrats de tous ordres (contrats fournisseurs, contrats clients, contrats de coopération, contrat d’approvisionnement…etc)

1 – Le coronavirus et la renégociation du contrat (imprévision)

La première étape, pour le contractant, est sans doute de renégocier le contrat.

Ainsi, avant même d’envisager l’utilisation d’un mécanisme légal, il est recommandé au contractant de s’adresser à son co-contractant, pour tenter de renégocier amiablement le contrat, et ainsi tenter de préserver la confiance, ciment essentiel lorsque la relation est une relations commerciale durable.

C’est d’ailleurs la démarche entamée par nombre d’entreprises à l’égard de leurs banques, lesquelles ont été fortement incitées par le gouvernement à faire droit aux demandes de renégociation des prêts, en raison de l’importance décuplée du crédit en pareille situation de crise.

Ce n’est qu’en cas de désaccord, que le contractant pourrait être tenté d’employer un mécanisme légal pour imposer la révision du contrat à son cocontractant.

C’est ici qu’intervient le mécanisme de l’imprévision.

Il est nécessaire, avant tout, de déterminer si votre contrat est antérieur ou postérieur au 1er octobre 2016, date de la réforme du droit des obligations en droit français.

1ère hypothèse : si votre contrat a été signé avant le 1 er octobre 2016 : Avant le 1er octobre 2016, aucun texte ne prévoyait une possibilité de révision des contrats de droit privé.

La jurisprudence française, depuis 1876 et l’arrêt « Canal de Craponne » a toujours refusé d'instaurer la théorie de l'imprévision en droit des contrats, théorie pourtant reconnue en droit administratif.

En effet, guidée par le besoin de sécurité juridique et la force obligatoire du contrat, elle a toujours réfuté l'immixtion de l'arbitraire du juge dans le contrat, même aux fins de rétablir une certaine équité entre les parties.

Trois nuances doivent être apportées :

  • La jurisprudence s’était, dernièrement, quelque peu assouplie :

Un arrêt de la Cour de cassation avait toutefois semblé instituer une obligation de renégociation en cas de modification des circonstances économiques du contrat.

Aux termes dudit arrêt la Cour affirmait que le refus de renégocier constituerait une atteinte à l'obligation de loyauté et à l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, si une modification imprévue des circonstances économiques était survenue en cours de contrat.

Nul doute que si un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 devait être analysé par un juge, l’impact de la réforme s’en ferait ressentir, et une interprétation de l’ancien texte à la lumière des nouvelles dispositions pourrait être constatée.

  • Les clauses de hardship, ou clauses d’imprévision était stipulés dans de nombreux contrats, par les praticiens, pour envisager la possibilité d’une renégociation, lorsque l’économie du contrats était bouleversé par la survenance d’un évènement extérieur. Ces clauses était parfaitement valables en droit français, elles pourraient se trouver activées, sous réserve que les conditions prévues au contrat soient remplies.
  • En cas d’avenant passé au contrat, ou de renouvellement tacite de celui-ci, les règles issues de la réforme du droit des contrats, applicables depuis le 1er octobre 2016, sont applicables

2ème hypothèse : si votre contrat a été signé après le 1er octobre 2016 :

Pour les contrats postérieurs au 1er octobre 2016, c’est ’article 1195 du Code civil qui est désormais applicable.

Cet article 1195 du Code civil dispose :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

Cet article prévoit explicitement l’imprévision comme un cas de révision du contrat, voire même, dans les cas les plus graves où le contrat ne pourrait plus être exécuté, de cessation légale du contrat.

Mais, pour cela, il est nécessaire de remplir les conditions prévues par l’article, et en particulier, les critères de l’imprévisibilité et du caractère excessivement onéreux.

Ainsi, si l’on peut admettre qu’une interprétation souple de la prévisibilité puisse, sauf cas particuliers (un laboratoire pharmaceutique ou un producteur de gels hydroalcoolique, par exemple, pourrait-il se prévaloir de l’imprévisibilité, au regard de son domaine d’activité, aussi facilement qu’un sous-traitant industriel ? Rien n’est moins sûr…) permettre d’accéder au critère de l’imprévisibilité, s’agissant du Coronavirus, le critère essentiel et prépondérant sera sans doute le caractère « excessivement onéreux ».

En la matière, tout sera affaire d’espèce, car d’une part, ce n’est pas juste un déséquilibre du contrat qui sera appréhendé, et il faudra un véritable bouleversement rendant le contrat largement et manifestement déséquilibré, et d’autre part, ce qui est excessivement onéreux pour l’un ne l’est pas pour l’autre et la situation respective des parties sera prise en compte.

Encore faut-il, pour que le mécanisme ne soit pas inutilisable, que le contrat ne l’ait pas purement et simplement évincé.

Car s’il est vrai que les clauses de hardship sont valables, il est tout aussi vrai que leurs ombres, qui excluent le recours à la révision, sont également valables.

Enfin, une attention toute particulière sera apportée à la procédure à respecter pour actionner ce mécanisme légal.

En effet, même si le résultat peut être au rendez-vous, il s’agit de ne pas brûler les étapes, en s’employant d’abord, comme le prévoit le texte, à tenter une renégociation (tout en s’en ménageant la preuve car il faudra pouvoir, le cas échéant, le démontrer en justice), avant de saisir un juge.

Ces différentes étapes, peuvent cependant paraître longues et fastidieuses, et ne pas toujours répondre à l’exigence de rapidité qu’impose la situation.

2 – Le coronavirus et la suspension du contrat, ou à défaut, sa rupture de plein droit (force majeure)

Plus encore que le régime de l’imprévision, qui peut, après plusieurs démarches, aboutir à sa résolution, la force majeure vient à l’esprit.

Attention toutefois, il a beaucoup été entendu, ici et là, que la force majeure pourrait être invoquée pour faire échec aux stipulations des contrats.

Rien n’est moins sûr en vérité, car la force majeure est une notion appréciée de manière restrictive et mise en application de façon très (trop ?) exceptionnelle.

Deux régimes peuvent être appliqués, selon la date de conclusions du contrat : celui antérieur au 1er octobre 2016 si le contrat a été signé avant cette date, ou celui postérieur au 1er octobre 2016 si le contrat a été signé après cette date.

1ère hypothèse : si le contrat a été conclu avant le 1er octobre 2016, c’est l’article 1148, issu de la codification de 1804, qui s’applique :

« Il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. »

Particulièrement laconique, cet article a été précisé par la jurisprudence, qui retient une conception restrictive de la force majeure qui doit être imprévisible, irrésistible et extérieure.

La jurisprudence a jugé que d’autres maladies, telles que bacille de la peste, les épidémies de grippe H1N1 en 2009, le virus la dengue ou encore celui du chikungunya n’ont pas été jugés comme des crises sanitaires constitutives d’événements de force majeure.

Les juges ont considéré soit que les maladies étaient connues, de même que leurs risques de diffusion et effets sur la santé, soit qu’elles n’étaient pas mortelles, ou pas assez graves, et ont donc écarté qu’elles puissent être invoquées pour refuser d’exécuter un contrat.

Sous l’ancien régime du droit des contrats, une épidémie n’était donc pas nécessairement ni automatiquement un cas de force majeure.

Mais l’ampleur et la gravité du coronavirus, qui a nécessité la mise en place de mesures inédites, ne sont-elles pas de nature à, une fois n’est pas coutume en matière d’épidémie, appliquer la force majeure ?

Nous le pensons, mais la jurisprudence le dira.

Avec sans doute, il faut s’y attendre, des appréciations divergentes, selon les cas traités.

Soutenir l’application de la force majeure pourrait être d’autant plus opportun que le législateur a, par la réforme du droit des obligations, entendu confirmer cette notion, et même l’assouplir quelque peu.

2ème hypothèse : contrat postérieur au 1er octobre 2016 : Depuis le 1er octobre 2016, c’est l’article 1218 issu de la réforme qui s’applique aux contrats nouvellement signés, lequel prévoit :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

On retrouve, dans cette définition de la force majeure, les trois conditions classiques que sont l’extériorité, l’imprévisibilité, et l’irrésistibilité.

L'exétériorité pose assez peu de questions, tant il semble acquis que le Coronavirus est un évenement extrérieur aux parties.

L’imprévisibilité risque, peut être, à la marge, d’être discutée, au regard des différentes étapes de la crise, et des mesures prises avant le confinement total.

Le dernier critère de l’irrésistibilité, qui laisse entendre que les effets de l’évènement ne pouvaient pas être évitées, sera sans doute le plus discuté.

En effet, la notion de « mesures appropriées » paraît pour le moins floue, et la partie invoquant la force majeure aura tôt fait de dire qu’il n’était pas possible d’éviter les effets catastrophiques de la crise sanitaire, quand son co-contractant soutiendra au contraire que des mesures (télétravail, sous-traitance…etc), aurait permis d’atténuer l’impact de la crise.

Gageons que la Cour de cassation laissera cette notion à l’appréciation souveraine des juges du fond qui auront certainement à travailler plus qu’auparavant sur des notions sanitaires et médicales, là où auparavant ils étaient saisis essentiellement de concepts juridiques et économiques.

Il n’existera pas de réponse absolue, et le droit ne répondra qu’imparfaitement à des situations diverses et variées, que les juridictions civiles et commerciales devront démêler.

3 – Le coronavirus et la suspension du contrat (bis) (l’exception d’inexécution)

Souvent oubliée, l’exception d’inexécution, proche d’un système de justice privé, peut se révéler un mécanisme efficace pour le cocontractant, en droit de refuser d’exécuter ses obligations si son partenaire n’a pas, lui-même, respecté les siennes.

La principale difficulté est toutefois la chronologie des obligations, car il est nécessaire, pour invoquer à bon droit l’exception d’inexécution, outre les conditions classiques de proportionnalité et de légitimité, que l’obligation du cocontractant soit exigible avant la sienne, et qu’elle n’ait pas été exécutée.

A cet égard, cependant, la réforme du droit des obligations a apporté une innovation majeure, en permettant désormais au créancier de l’obligation de refuser d’exécuter son obligation, par anticipation.

L’article 1220 du Code civil dispose en effet :

« Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

Cet article, passé quelque peu inaperçu parmi le lot des nouveautés de la réforme, pourrait bien prendre une nouvelle dimension, sous l’effet de la crise actuelle.

Car le contractant peut, à la lecture de cet article, suspendre de lui-même et de son propre chef, son obligation.

Deux conditions doivent toutefois être remplies :

  • Il doit être manifeste que le cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance.

Il ne peut donc pas s’agir d’un simple soupçon non étayé. Le créancier doit avoir des raisons objectives de penser que son cocontractant ne s’exécuter pas. (Une interdiction l’empêchant d’exercer son activité pourrait, sans doute constituer ce risque, si l’on prend l’exemple de certains commerces ou bars qui ont été obligés de fermer leurs portes),

  • Les conséquences de cette inexécution doivent être suffisamment grave pour elle.

Il appartiendra à la partie de justifier que cette inexécution est suffisamment grave pour qu’elle puisse avoir recours, par anticipation, à l’inexécution du contrat. On voit ici la résurgence de la condition de proportionnalité, condition indispensable pour mettre en œuvre l’exception d’inexécution à titre curatif, c’est-à-dire lorsque l’autre partie a elle-même été défaillante.

Une fois encore, tout est affaire d’espèces, et chaque cas pourra être apprécié différemment, selon ses spécificités.

L’article 1220 pourrait bien, dans les mois, voire dans les années à venir, devenir un outil extrêmement utilisé par les entreprises parties de contrats dont elle souhaiterait neutraliser les effets potentiellement néfastes en période d’incertitude économique.

Ce d’autant plus que, pour l’instant, nul ne sait combien de temps la crise du Coronavirus va durer, ni si l’épidémie est susceptible de connaître de nouvelles poussées dans quelques semaines ou mois, si les mesures de restriction de la circulation des personnes étaient levées.

4 – Le coronavirus et la rupture unilatérale du contrat (la résolution)

Outre la force majeure, qui peut permettre, dans des conditions toutefois très restrictives, d’envisager une rupture de plein droit du contrat, il faut envisager la rupture unilatérale à l’initiative d’une des parties au contrat.

C’est, disons-le d’emblée, la mesure la plus radicale, et donc celle à manier avec le plus de précaution.

L’article 1224 du Code civil dispose :

La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

Il ressort de cet article que la résolution unilatérale ou judiciaire ne s’envisage qu’en cas de manquement grave du cocontractant à ses obligations.

Il faut donc, avant toute chose, qu’un manquement soit constaté de la part du cocontractant, et la seule survenance du coronavirus n’est bien entendu pas suffisante pour caractériser un tel manquement.

En outre, ce manquement devra être fautif, ce qui implique que le cocontractant ait eu la possibilité de l’éviter.

Enfin, il faudra que le manquement soit suffisamment grave, et donc être préjudiciable à celui qui le subi.

Le contractant qui prendrait l’initiative de la rupture s’exposerait donc à une rupture fautive, s’il était considéré que le manquement commis par son cocontractant ne lui est pas imputable, ou qu’il n’est pas suffisamment grave, et nul doute qu’en cette période de solidarité nationale, où la rupture d’un contrat peut en entraîner d’autres, au risque de provoquer un effet « boule de neige » catastrophique sur l’économie, une telle rupture sera certainement examinée avec une particulière sévérité.

Un éclairage particulier doit intervenir en matière de rupture de relations commerciales établies, ces dernières étant particulièrement exposées en situation de crise.

Les relations commerciales établies sont, selon la Cour de cassation, les relations commerciales qui revêtent un « caractère stable, suivi et habituel » pour lesquelles la partie victime pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une continuité.

Les relations commerciales établies font en effet l’objet d’une protection spécifique, par le Code commerce qui prévoit en son article L442-1 II (Ancien article L442-6 du Code de commerce) que :

« II. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »

Si la relation contractuelle est une relation commerciale établie, il sera donc apporté une vigilance particulière à l’éventuelle rupture du contrat car, en l’absence de préavis, ou en présence d’un préavis estimé insuffisant (lequel préavis devra notamment tenir compte de la durée de la relation, du chiffre d’affaires entre les parties…etc), la rupture pourra être jugée comme brutale et donner lieu à des dommages et intérêts.

Attention, la rupture peut également, et en principe, être partielle, et donc ne résulter que d’une baisse significative des commandes.

La jurisprudence étant pragmatique sur ce point, elle suit les réalités économiques des protagonistes, et a pu estimer que la baisse brutale de commandes inhérente à un marché en crise n’engage pas la responsabilité de son auteur pour rupture brutale de relations commerciales établies.

Lorsque la rupture brutale de la relation commerciale (même, partielle, puisqu'il peut s’agir d'une baisse des commandes) résulte d'une contrainte extérieure, telle que la crise du secteur qui conditionne le niveau de la production, elle n'entraîne pas la responsabilité de son auteur. (Cass. Com. 8 novembre 2017 n°16-15.285)

Deux nuances ont été apportées par le législateur, pour limiter la mise en œuvre de la responsabilité de l’auteur de la rupture :

1ère nuance : un préavis supérieur à 18 mois sera toutefois nécessairement considéré comme suffisant, car il serait déraisonnable de demander plus.

2ème nuance : Par ailleurs, la rupture sans préavis sera possible, à condition de caractériser l’existence d’une inexécution (comprendre faute grave de l’autre partie justifiant la rupture du contrat) ou l’existence…de la force majeure.

Ou comment la force majeure, qui sera appréciée selon les critères du droit commun susmentionnées, faute d’autre définition, réapparaît sur le devant de la scène !

Remarque importante à souligner : sous l’empire de l’ancien article L442-6 du Code de commerce, une cour d’appel avait pu estimer le caractère imprévisible et irrésistible de la chute de son carnet de commande ne constitue pas un cas de force majeure exonérant l'auteur de la rupture de toute responsabilité au regard de l'article L442-6 du Code de commerce (Cour d’appel de Chambéry, 8 juill. 2010).

Cela confirme que la force majeure, appréciée strictement par les tribunaux, ne sera pas toujours l’outils le plus aisé à mettre en œuvre.

Celui qui est exposé au risque de rupture brutal ne sera pas démuni, puisqu’il pourra, aux termes d’une procédure accéléré en référé, solliciter en justice le maintien du contrat et s’opposer ainsi à la rupture, ce qui est, il faut bien le dire, une prérogative exceptionnelle et exorbitante du droit commun.

Cette procédure pourrait lui permettre d’éviter une rupture sèche et brutale du contrat, pouvant notamment désorganiser son activité.

Ainsi a-t-il été jugé que la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur la responsabilité contractuelle mais sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies, n'a fait qu'user des pouvoirs que lui confèrent l’article, en ordonnant la poursuite des relations commerciales pendant dix mois selon des modalités équivalentes à celles ayant été suivies l'année écoulée, après avoir retenu que la rupture litigieuse constituait un trouble manifestement illicite et était de nature à causer au fournisseur un dommage imminent (Cass. Com. 10 nov. 2009, no 08-18.337 (ou, pour d’autres exemples, en présence d'une liquidation précipitée de la société afin de se soustraire à ses obligations).

Le Tribunal de Commerce de Paris a lui aussi considérée que le juge des référés peut ordonner le maintien forcé des relations commerciales dans l'attente du jugement au fond sur le caractère brutal de la rupture (Tribunal de Commerce T. com. Paris, ord., 25 nov. 2016).

La faculté de rupture unilatérale du contrat sera donc scrutée, encadrée, et limitée, ce qui ne peut pas être sans dissuader quelques téméraires.

La planche de salut pourrait, pour celui qui souhaite rompre le contrat, et éviter dans certains cas le risque endémique (car rompre le contrat peut aussi, il ne faut pas l’oublier, permettre de limiter les effets néfastes d’un évènement préjudiciable et éviter ainsi, de manière parfois salutaire, l’application de la « théorie des dominos ») se trouver dans la clause résolutoire, qui a pu envisager une rupture du contrat dans des cas objectifs qui seraient atteints en raison du coronavirus (car il est peu probable qu’en dehors de secteurs très spécifiques, une clause vise expressément comme cause de rupture du contrat la survenance d’une pandémie telle que le coronavirus).

L’article 1225 du Code civil dispose à cet égard :

« La clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s'il n'a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. »

La mise en œuvre de la clause résolutoire pourrait permettre ainsi au cocontractant de rompre le contrat, si les conditions de celle-ci sont réunies.

La durée de préavis aura également dû être envisagée, pour anticiper d’éventuelles contestations sur le fondement de la rupture de relations commerciales établies.

Ces remèdes, pistes de réflexion pour tout contractant, devront, en toutes hypothèses, faire l’objet d’une analyse adaptée et d’un conseil avisé, selon les enjeux en présence.

Pour d'autres articles relatifs aux impacts pratiques et juridiques de la crise sanitaire du Coronavirus :

http://www.salagnon-avocat-nantes.fr/blog/droit-bancaire/coronavirus-covid-19-quels-recours-pour-les-emprunteurs-en-difficultes-de-paiement-vis-a-vis-de-leur-banque

Maître Charlyves SALAGNON, Avocat associé - Cabinet BRG (Nantes-Paris)